TÉMOIGNAGE COLLECTIF LU A L’ASSEMBLÉE ANNUELLE DE L’AVREF
Le 05/05/2014
L’Eau Vive est une communauté où on rentre en chrétienne convaincue et d’où on ressort, traumatisée, et sans vocation, ni conviction et même on se déchristianise sans se rendre compte. Le fait de ne pas avoir un avis personnel, de suivre tout et uniquement ce que la responsable dit, lorsqu’on s’en va de là, on est sans conviction et on est perdu. Il y en a qui sont déséquilibrées, désorientées et beaucoup d’autres comme détruites. C’est une communauté d’où on sort avec les blessures les plus profondes.
Je suis là pour parler à mon nom et au nom d’une trentaine de femmes comme moi, sur le territoire français, sans situation pour ne pas dire sans domicile fixe. Et pour cause : 20 années de présence dans cette communauté, j’ai été témoin de cinq cas de folie. Deux au Burkina Faso, un cas en France, un cas aux Philippines et un au Congo RDC. Les deux du Burkina ont été renvoyées à leur famille, celle des Philippines aussi. La Congolaise grâce à l’intervention extérieure est retournée en communauté et suit des soins aujourd’hui. Celle qui était sur la France est en réalité Anglaise, elle a quitté, s’est soignée et a fondé une famille à présent. J’ai vu deux cas de tentative de suicide, une durant ma formation à Rome, la deuxième lorsque j’étais déjà en mission. Une autre de nos sœurs qui souffrait de tuberculose osseuse n’en pouvait plus d’entendre qu’elle coûte trop cher à la famille. Finalement, elle a quitté et pour finir elle est morte.
Sans compter toutes celles qui sont parties avec des blessures sinon des traumatismes qu’elles n’ont jamais pu se libérer et qu’elles portent encore et qui les tiennent prisonnières à vie.
Je suis ici pour dire en mon nom et au nom de mes autres sœurs que nous ne sommes pas sorties de notre pays pour venir en Europe par le billet d’une communauté comme le font des filles d’autres pays. Nous sommes ici à cause de notre foi et de notre vocation. Et nous regrettons nous d’abord, nos parents ensuite d’avoir perdu notre temps, notre vocation et un peu de notre foi. Je suis consolée de savoir qu’il y a parmi nous des responsables de l’Église. Je leur dis ceci, que à cause de notre foi et de l’appel que nous avons entendu à suivre le Christ, une trentaine de jeunes femmes Burkinabé sont sur la France comme moi, qui ne sont pas des sœurs, qui ne sont pas des mères, qui sont sans mari et sans enfants. Elles sont tout simplement des SDF. A cause de notre foi et de notre vocation nous sommes là comme si nous n’avons jamais existé. Nous ne sommes pas reconnues ici mais quand nous sommes dans nos familles, les enfants courent demander à leur mères : maman, elle c’est qui ?
Vous savez, à l’Eau Vive, on a pas droit à la parole, on ne peut pas donner son point de vue. Puisque la responsable tient la place de la Sainte Vierge, tout le monde doit faire ce qu’elle dit. Sauf ses préférées bien sûr.
On ne doit pas tomber malade, encore moins être fatiguée. Quand on a des souffrances on ne doit pas en parler. Il faut supporter pour Jésus. Avec la continuité de l’esclavage dans cette communauté, on ne peut pas parler du droit de l’Homme… La personne humaine ne compte pas. Nous n’avons pas de vie de prière. A la fin tout ceci ne correspond plus à nos aspirations et nous avons pris le risque de quitter. Du coup, nous ne sommes pas seulement des sans-papiers, nous sommes réellement sans pays.
Nous avons été amenées ici sans pouvoir de décision. A cause de l’appel de Dieu, on nous a pris notre jeunesse, les meilleures années de notre vie.
Aidez-nous à refaire notre vie.
Je suis heureuse de pouvoir dire ces quelques mots. Nous sommes à la recherche d’une terre, et nous voulons que vous sachiez que l’Eau Vive n’a rien de religieux.
Et tout en vous demandant de nous reconnaître ce qui va nous permettre d’exister, nous vous demandons d’aider celles qui sont encore dedans afin qu’elles ne se trouvent pas dans notre situation. Car beaucoup de femmes âgées et moins âgées sont là, et elles ont peur de prendre ce risque, mais qui, en vérité, n’en peuvent plus. Vous tous qui m’écoutez, nous voulons tout juste une situation afin de pouvoir exister. Nous désirons être reconnues, parce que nous voulons vivre.
Les représentantes du Collectif