Jean-Paul II et ses principaux conseillers n’ont pas saisi la gravité du problème des abus sexuels jusqu’à très tard dans son pontificat, qui a duré 26 ans, malgré le fait que les évêques américains eussent demandé depuis la fin des années 80 au Saint Siège de leur donner le droit de défroquer plus rapidement les prêtres pédophiles.
Les expériences de Jean-Paul II en Pologne sous le joug des nazis et des communistes, qui n’hésitaient pas à répandre des fausses accusations sur des prêtres, auraient influencé son attitude de défense à l’égard du clergé. L’exode massif de prêtres après les turbulentes années 60 l’aurait également conduit à s’accrocher aux prêtres restés dans les rangs.
Le pape François a hérité de l’échec le plus célèbre de Jean-Paul II dans les affaires d’abus sexuels : le cas de la Légion du Christ, que le pape polonais et ses principaux conseillers montraient en exemple. François, qui s’apprête à canoniser Jean-Paul II dans quelques jours, devra bientôt décider s’il ratifie le processus de réformes effectuées depuis trois ans par le Vatican. Des réformes rendues nécessaires après que la Légion eût reconnu que son défunt fondateur avait abusé sexuellement de ses séminaristes et avait eu au moins trois enfants avec deux femmes différentes.
Pourtant, les aveux de 2009 par la Légion sur la double vie du père Maciel étaient loin d’être un scoop pour le Vatican.
Des documents provenant des archives du dicastère qui s’appelait à l’époque « la Sacrée Congrégation pour les Religieux » montrent comment une succession de papes – dont Jean XXIII qui sera aussi canonisé dimanche – ont tout simplement fermé les yeux devant des rapports, pourtant crédibles, qui montraient que le père Maciel était un escroc, un toxicomane, un pédophile et un imposteur.
En 1948, sept ans après que Maciel eût fondé sa congrégation, le Saint-Siège recevait des documents de quelques émissaires et évêques du Mexique et d’Espagne qui remettaient en cause la légitimité de l’ordination de Maciel (Ce dernier avait été ordonné par son oncle, après avoir été viré de plusieurs séminaires), notaient le fondement juridique douteux de la congrégation et signalaient les comportements « totalitaires » ainsi que les violences spirituelles exercées sur les jeunes séminaristes.
Les documents montrent qu’en 1956, le Saint-Siège était parfaitement au courant de son addiction à la morphine, de ses abus sexuels et des malversations financières, puisque à cause de cela, les autorités vaticanes ont fait réaliser une enquête et ont suspendu le père Maciel de ses fonctions de supérieur pendant deux ans, afin que celui-ci aille faire une cure de désintoxication.
Pourtant, pendant des décennies, Rome a préféré détourner son regard, grâce au talent de Maciel pour faire taire ses propres prêtres, grâce à son habilité pour placer des légionnaires de confiance à des postes clés au sein des officines du Vatican et grâce à l’amitié qu’il entretenait avec des cardinaux, des évêques mexicains et des riches et puissants bienfaiteurs laïcs. Les responsables du Vatican était impressionnés par l’apparente orthodoxie de ses prêtres et par l’habilité du père Maciel à attirer de nouvelles vocations et à collecter des fonds.
Jean-Paul II, qui a fait l’éloge de Maciel en 1994, qualifiant celui-ci de « guide sûr pour la jeunesse », n’est pas le seul à s’être fait duper. Ses principaux conseillers faisaient partie des plus féroces partisans de Maciel et étaient convaincus que les accusations étaient le genre de « calomnies » dont sont victimes tous les grands saints. Ils ont été influencés par de nombreux témoignages d’évêques et d’autres personnes (ces documents apparaissent aussi dans les archives qui ont fuité du Vatican et qui sont téléchargeables sur Internet depuis 2012).
Deux ans après que le Vatican eût condamné Maciel à une vie de pénitence et de prière pour avoir abusé sexuellement de ses séminaristes, le cardinal Angelo Sodano, qui était à l’époque le bras droit de Jean-Paul II, continuait à faire l’éloge de Maciel et de son « humilité » pour avoir accepté de se retirer après que le Vatican l’eût confronté aux accusations.
De même, le préfet de la Congrégation pour les Religieux, le cardinal Franc Rodé, a dit aux légionnaires qu’il « absolvait Maciel » et a salué les « bons fruits » que la Légion de Maciel avait donné à l’Eglise.
« Le fruit est bon. Le fruit est extraordinairement bon. Il est excellent, » a affirmé Rodé lors d’un discours aux légionnaires en novembre 2008 et porté à la connaissance du public grâce au journal mexicain El Zocalo. « Peut-on dire alors que l’arbre est mauvais ? D’un simple point de vue logique, je dirais que non. J’absous le père Maciel. Je ne le juge pas. »
L’imposture de Maciel - l’un des plus grands scandales de l’Église catholique du 20e siècle - soulève aujourd’hui des questions embarrassantes pour le Vatican : comment autant de personnes ont pu être dupées pendant tant d’années ? Comment la structure même de l’Eglise, avec toutes ses valeurs et ses engagements, a-t-elle permis qu’une congrégation avec de telles déviances sectaires puisse grandir en son sein ? Qui doit être tenu responsable des dommages causés ?
Enfin, cela pose une autre question : la congrégation s’est-elle vraiment purifiée des mécanismes abusifs qui ont conduit plusieurs générations de prêtres à s’assujettir avec une obéissance aveugle aux ordres d’un faux prophète ?
Dans son livre publié 2013 « J’ai vécu avec un Saint », l’ancien secrétaire polonais de Jean-Paul II, le cardinal Stanislaw Dziwisz, affirme que son pape « ne savait rien, absolument rien » sur les méfaits de Maciel.
« Pour lui, Maciel était surtout le fondateur d’une très grande congrégation religieuse, et c’est tout. Personne ne lui a jamais rien dit, même pas au sujet des rumeurs qui couraient ici et là, » écrit Dziwisz, qui est également le moteur caché derrière la canonisation extraordinairement rapide de Jean-Paul II.
En revanche, Dziwisz accuse la « structure extrêmement bureaucratique » du Vatican d’avoir empêché que de telles informations n’arrivent à Jean-Paul II. Il récuse l’accusation selon laquelle son pape aurait été lent à réagir face aux scandales d’abus sexuels.
Juan José Vaca demande que la canonisation soit reportée.
Vaca a été le supérieur de la Légion du Christ aux Etats-Unis, de 1971 à 1976. Après quoi, il a quitté la congrégation et a rejoint le diocèse de Rockville Center, dans l’Etat de New York. En 1979, un an après l’élection de Jean-Paul II, son évêque a envoyé à la Congrégation pour les religieux un ensemble de documents dans lesquels Vaca et un autre ancien prêtre de la Légion racontent en détail les abus sexuels que Maciel a commis sur eux, ainsi que sur 19 autres prêtres et séminaristes.
Il a ensuite été l’un des membres du groupe qui a déposé une plainte canonique contre Maciel devant les tribunaux du Vatican, en 1998. Il a fallu attendre huit ans - et la mort de Jean-Paul - pour que le pape Benoît XVI sanctionne Maciel (NDT : En fait, il s’agissait d’une simple mise à l’écart, et non d’une sanction. Maciel n’a jamais eu à rendre compte de ses actes et n’a jamais été vraiment inquiété. Les victimes souffrent terriblement de n’avoir jamais réussi à obtenir justice).
« Encore une fois, je suis indigné et épouvanté. J’ai un sentiment de déception et de colère devant cette parodie de procès pour faire « saint » un pape qui n’a strictement rien fait pour protéger l’Eglise Catholique et la société des terribles crises engendrées par les abus sexuels commis par des prêtres » a dit Vaca à l’Associated Press dans un email.
Le père Robert Gahl, professeur de théologie morale à l’Université pontificale Sainte-Croix, à Rome, a déclaré que l’Eglise avait tout intérêt à procéder à une enquête approfondie pour comprendre comment le scandale de la Légion avait pu se produire, en allant jusque dans les moindres « recoins du Vatican », là où les partisans de Maciel continuent à exercer de l’influence, car « s’il avait été vraiment au courant, Jean-Paul II n’aurait jamais permis que des abus sexuels soient perpétrés. »
« Celui qui n’avait pas peur de regarder les dictateurs droit dans les yeux n’aurait jamais fuit ses responsabilités à l’heure de porter un prédateur sexuel devant la justice » affirme Gahl. « L’histoire exige qu’on fasse toute la lumière, et ce moment, c’est maintenant ».