quelle est la vraie nature de la personnalité de Thierry de Roucy ? De quelle façon a-t-il dirigé et failli briser la congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie dont il était supérieur général de 1988 à 2001 ? Quel fut le but réellement poursuivi en créant en 1990, soi disant sur une inspiration de la Vierge, une œuvre apparemment destinée aux pauvres mais qui lui facilitait un train de vie fastueux du Prieuré Mater Admirabilis en Picardie jusqu’à sa luxueuse dacha dans la campagne de New York en passant, entre temps, par de multiples maisons dans le village de Jas ? Que dire de l’envoi quasiment sans préparation, dans des conditions de vie extrêmes, de jeunes très généreux ? Comment s’est effectuée l’utilisation des dons financiers considérables dont personne ne peut connaître la véritable gestion ? Par quels moyens s’est-il acquis la protection de hautes personnalités ecclésiales tant dans l’Eglise de France, la Curie romaine ou encore auprès d’évêques et cardinaux du monde entier ainsi que de mouvements ecclésiaux en vue ? Comment a-t-il pu réussir à faire s’atermoyer durant 12 ans les procédures pénales dans lesquelles il était mis en cause ? Comment a-t-il pu obtenir tour à tour en 2003 la médaille de chevalier et celle d’officier de la légion d’honneur en 2013 alors qu’étaient déjà largement connues les accusations d’abus sexuel et de dérives sectaires qui pesaient sur lui et le procès canonique qui le visait avant de le reconnaître coupable en 2011 ? Comment a-t-il remplacé progressivement le charisme initial de présence et d’aide aux enfants pauvres des bidonvilles par une ONG soi-disant de compassion mais servant de façade à des transactions douteuses d’œuvres d’art de Buenos-Aires à Manhattan ? Tous ces points mériteraient d’être sérieusement investigués non seulement par l’Eglise mais aussi par l’Etat français.
Un seul d’entre eux nous préoccupera aujourd’hui : dans cette affaire, quel rôle a joué ou a-t-on fait jouer à l’évêque de Fréjus-Toulon, Monseigneur Dominique Rey ? Pour comprendre ce doute qui est le nôtre à son égard, un bref historique s’impose.
En l’an 2000, Thierry de Roucy réussit à échapper aux questions et conditions trop précises que lui posait Mgr Thomazeau, alors évêque de Beauvais, pour l’ordination des premiers prêtres de Points-Cœur en trouvant refuge pour son œuvre en Argentine où Mgr Karlic, alors archevêque de Paranà, la reconnut comme association privée de fidèles de son diocèse ainsi que la branche sacerdotale Molokai qui lui était attachée – ce qui rendit possible les deux premières ordinations de 2001. Quatre ans plus tard, en 2005, Mgr Jean-Paul James, alors évêque de Beauvais, commença une enquête canonique sur Thierry de Roucy et celle-ci déboucha, après bien des atermoiements, à sa condamnation en 2011 pour « abus de pouvoir, abus sexuel sur son adjoint et absolution de complice ». Dès le début de l’enquête de 2005, Mgr James avait ordonné au P. de Roucy (qui appartenait encore à la congrégation des Serviteurs de Jésus et de Marie de droit diocésain à Beauvais) de demeurer un temps à l’écart à l’abbaye du Bec-Hellouin. En répercussion immédiate du lancement de cette enquête, Mgr Maulion, nouvel archevêque de Parana en Argentine, annula les deux nouvelles ordinations diaconales prévues pour Points-Cœur au printemps 2005 et il manifesta rapidement sa volonté de ne plus soutenir depuis le bout du monde une œuvre française qui ne cessait de lui échapper et qui était présente en de nombreux pays.
Face au retrait du soutien argentin, Thierry de Roucy entreprit deux choses : tenter une reconnaissance de droit pontifical pour Points-Cœur et, dans l’immédiat, trouver un nouvel évêque protecteur. La chose fut faite en la personne de Dominique Rey, évêque de Toulon, qui avait déjà accueilli dans son diocèse en 2001 les sœurs de Points-Cœur. En 2008, il incardina le P. de Roucy et reconnut canoniquement l’œuvre et toutes ses branches. Une photo de 2008 a immortalisé autour de deux verres de vin cette nouvelle amitié et cet « accueil bouleversant ». Au cours des années suivantes, Mgr Rey ordonna prêtres de nombreux séminaristes de Points-Cœur sans avoir eu la moindre possibilité de les connaître car ils avaient effectué leur formation en Argentine, au Chili ou au séminaire anglais de Rome. Il est tout à fait imaginable qu’il ait vu dans la descente de cette manne sacerdotale le moyen de gonfler avantageusement le nombre des ordinations auxquelles il procède à Toulon. A moins que la perspective d’une dissolution de Points-Cœur et de la fraternité sacerdotale Molokai n’ait fait grandir en lui la secrète espérance de récupérer dans ses terres varoises quelques prêtres qui, reconnaissons-le, sont assez talentueux…
On ne peut pas cependant ne pas se poser la question de savoir pourquoi Mgr Rey, tel la petite république de Panama, a accordé sa protection comme un pavillon de complaisance au navire en dérive de Thierry de Roucy. En l’accueillant en 2008 dans son diocèse avec toute l’œuvre Points-Cœur, Dominique Rey n’était pas sans connaître l’enquête canonique qui était en cours depuis 2005 à l’égard de ce rusé fondateur et bien des personnes s’étaient chargées de le prévenir et de le mettre en garde. Cependant, l’évêque de Toulon ne recula pas devant ce qui nous semble aujourd’hui un manque flagrant de discernement ecclésial – comme si l’Esprit Saint lui avait fait défaut dans cette affaire… Au contraire, il « accueillit comme un véritable père » et donna de grand cœur son blanc-seing à ce nouveau mouvement qui s’ajoutait aux communautés si nouvelles et diverses de son diocèse.
Cependant, dans cet accueil et cette reconnaissance canonique, pour quels motifs prenait-il une telle part à une histoire bien obscure qui allait se poursuivre en 2011 par le suicide d’un prêtre, Albert Marshall, ainsi que des départs de plusieurs prêtres pour retourner à l’état laïc, et toujours plus de dégâts psychologiques et spirituels chez de nombreux membres de Points-Cœur dont certains arrivaient miraculeusement à quitter le navire ? Toujours à la même époque, loin de son nouveau diocèse de Toulon, Thierry de Roucy menait grande vie à New York où il fréquentait nombre de clubs très privés et selects, organisait des galas de bienfaisance au prix d’entrée prohibitif [1] et vendait aux enchères à des expatriés français fortunés ses propres clichés photographiques dûment paraphés par lui-même – ce qui les rendait encore plus précieux et susceptibles d’engranger de l’argent prétendument pour les volontaires de Points-Cœur qui, dans leurs bidonvilles, vivaient bien loin des fastes de Manhattan…
Devant toutes ces questions encore sans réponse, posées non seulement au sujet de Thierry de Roucy mais aussi de toute l’œuvre Points-Cœur, de ses soutiens ecclésiaux et de son fonctionnement actuel, nous souhaitons ardemment que l’Eglise ait le courage de faire l’entière vérité y compris sur les motivations profondes de l’évêque de Toulon dont, aujourd’hui, on ne peut être que surpris par la disproportion de la réaction. En effet, malgré les graves condamnations en 2011 d’abus de pouvoir, d’abus sexuel et d’absolution de complice, rien n’a semblé jamais atteindre jusqu’à présent Thierry de Roucy qui a continué à garder dans l’ombre la même emprise sur son œuvre [2] et à mener la même vie dans le luxe même si d’aucuns, comme son avocat, ont l’indécence de nous faire croire qu’il est un pauvre religieux sans le sou ! Mais après cette longue impunité, voici que tout d’un coup, un refus d’obtempérer à son évêque – qui s’est enfin rappelé que ce prêtre appartenait à son diocèse – entraîne la prononciation d’une grave sanction canonique. On aimerait mieux comprendre la logique qui justifie cette décision soudaine…
Puisse donc l’Eglise se donner les moyens de faire enfin la vérité sur cette incroyable aventure, en particulier sur les soutiens occultes qu’a su utiliser Thierry de Roucy pour rester aussi longtemps dans l’impunité ecclésiale et presque arriver à ses fins si avaient été élus au Siège de Pierre d’autres cardinaux plus favorables à Points-Cœur que Joseph Ratzinger et surtout Jorge-Mario Bergoglio – qui, comme archevêque de Buenos-Aires, fut aux premières loges pour mesurer dans quelle trahison des pauvres Thierry de Roucy s’était lancé. Quoiqu’il en soit, on peut espérer que, grâce à cette « suspense a divinis », les multiples victimes, tout comme les nombreux amis et soutiens épiscopaux de ce soi-disant fondateur, comprendront enfin qu’ils se sont fait tromper par un prêtre redoutablement intelligent et manipulateur et, oserions-nous dire, sans foi ni loi…
Frère Alèthos