Le Pape émérite, le Pape saint et l’ami pédophile

Dimanche 19 avril 2015 — Dernier ajout lundi 20 avril 2015

Cet article, publié il y a quelques jours sur le site italien Micromega, soulève un certain nombre de questions sur la gestion de l’affaire du fondateur des légionnaires du Christ par Jean-Paul II et Benoît XVI. Les éléments dont nous disposons sont encore plus désolants que ce que le journaliste Federico Tulli révèle ici. Mais c’est un bon début.

7 avril 2015

Bien peu de gens savent de quelle manière pour le moins tordue et discutable le Saint Siège a géré l’affaire du prêtre mexicain Marcial Maciel Degollado, fondateur des Légionnaires du Christ. Pourtant, d’aucuns affirment qu’elle aurait influé sur la démission de Benoît XVI et, de façon paradoxale, sur la canonisation de Jean-Paul II qui a eu lieu, en un temps record, le 1er mai 2014.

Dix ans après la mort de Karol Wojtyla (2 mai 2005) et l’accession à la papauté de Joseph Ratzinger (19 mai 2005), voici l’occasion de mettre en lumière une histoire peu suivie par nos propres médias mais qui a pourtant profondément marquée ces deux pontificats ainsi que le dernier demi-siècle de l’histoire « politique » de l’Eglise de Rome : à savoir l’affaire Maciel, pédophile et violeur en série, protégé par Jean-Paul II et ami du premier secrétaire d’Etat de Benoît XVI, le cardinal Angelo Sodano.

Par Federico Tulli

« Le père Maciel est très cher au Saint-Père et il a fait beaucoup pour l’Eglise. Donc, je suis désolé, mais il n’est pas prudent de rouvrir une enquête ». Lorsque le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Joseph Ratzinger, envoie ces quelques lignes à Mgr Carlos Talavera Ramirez, l’évêque de Coatzacoalcos (Mexique), 48 années se sont écoulées depuis les premières accusations d’abus « sexuels » transmises au Vatican à l’encontre du père Marcial Maciel Degollado, fondateur (en 1941) de la congrégation des Légionnaires du Christ. Nous sommes en 1996. Ratzinger dirige la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (l’ancien « Saint-Office ») sous le règne de Jean-Paul II. Ramirez avait écrit à Ratzinger à la demande d’un prêtre, Alberto Athié, qui avait reçu les confidences de l’une des premières victimes du père Maciel, abusé dans les années 50. Sa plainte restera lettre morte, comme toutes les autres reçues par le Vatican depuis 1944.

Mais Athié ne se décourage pas. Avec l’aide de Fernando M. González, un sociologue et psychanalyste, et José Barba, un ancien légionnaire du Christ (de 11 à 24 ans) devenu ensuite professeur d’université, il expose dans un livre un dossier comportant 212 documents qui ont fuité du Vatican : des documents confidentiels, secrets et inédits sur le père Maciel, qui font clairement apparaître la complicité consciente de la hiérarchie du Vatican - à commencer par Jean-Paul II et le futur Benoît XVI - avec le puissant prêtre mexicain.

Cet ouvrage, que ne nous verrons probablement jamais en Italie, a été publié à quelques milliers d’exemplaires en mars 2012 chez Grijalbo-Random House Mondadori avec un titre significatif : La volonté de ne pas savoir. Ce que les archives secrètes du Vatican révèlent sur ce qu’on savait du père Maciel depuis 1944. Les auteurs analysent ces documents selon trois perspectives différentes : González, auteur d’un autre livre sur Maciel, travaille essentiellement sur la reconstruction chronologique et historique, apportant des réflexions sur l’attitude et la réaction institutionnelle de l’Eglise catholique ; Athié présente sa propre expérience personnelle, spirituelle et ecclésiastique : confronté à l’omerta et au mur du silence érigé autour de ses plaintes contre Maciel et, d’une façon plus générale, dans toutes les affaires de maltraitance d’enfants dans l’Eglise, il finit par quitter le sacerdoce ; José Barba, quant à lui, raconte l’historique des plaintes déposées par lui-même au Saint-Siège à partir de 1996.

La publication du livre en mars 2012 n’est pas accidentelle. Elle coïncide avec la visite pastorale de Benoît XVI au Mexique, qui est le premier récipiendaire des doléances qui y sont contenues. Au sein du Vatican, le père Maciel ne semblait plus avoir autant de soutiens depuis quelques années… et pourtant, à l’extérieur, son image était encore pratiquement immaculée. Pour comprendre ce qui s’est passé exactement, il faut revenir en 2006. « Après avoir soumis les résultats de l’enquête à une étude attentive, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, sous la direction de son nouveau préfet, le cardinal William Levada, a décidé - en tenant compte à la fois de l’âge avancé du révérend père Maciel et de sa santé délicate - de renoncer à un procès canonique et d’inviter le père à une vie réservée de prière et de pénitence, en renonçant à tout ministère public ». Par ce communiqué laconique publié le 19 mai 2006, le bureau de presse du Vatican annonçait que Ratzinger - devenu Benoît XVI un an auparavant - avait décidé de retirer à Marcial Maciel ses prérogatives pastorales. La seule « condamnation » qu’écopera l’infâme fondateur des légionnaires du Christ, après une vie entière de débauche, de viols d’enfants et de consommation de drogue, c’est une suspension a divinis. Aucun comportement en cause n’est mentionné dans le communiqué, lequel, en effet, ne précise d’aucune façon les raisons de cette « sentence ». Tout le monde sait, mais personne ne le dit. Le but du Saint-Siège est de jeter l’histoire embarrassante de Maciel et des Légionnaires aux oubliettes tout en préservant l’image de Joseph Ratzinger et du futur saint Jean-Paul II dont la cause de béatification vient d’être ouverte… justement par Benoît XVI.

De quoi Maciel s’est-il rendu coupable ? Voici un bref résumé de ses exploits dans un article publiés en 2002 par Sandro Magister dans L’Espresso, et qui sera confirmé des années plus plus tard par l’enquête du Vatican et par les fameux documents publiés dans La volonté de ne pas savoir. Voici ce qu’écrit le vaticaniste : « Les premières accusations remontent à 1948. Elles sont envoyées à Rome par les Jésuites de Comillas (Espagne) où Maciel avait envoyé ses disciples pour y faire des études. Mais le Vatican fait la sourde oreille. En 1956 : deuxième round. Cette fois-ci, le Vatican enquête sur de nouvelles allégations encore plus lourdes. Maciel est suspendu de ses fonctions pendant deux ans et exilé de Rome. Mais en février 1959, il est réhabilité. Troisième round : en 1978, c’est l’ancien provincial des Légionnaires aux États-Unis, Juan Vaca, qui envoie une plainte au pape Jean-Paul II, accusant Maciel d’avoir abusé de lui dans sa jeunesse. En 1989, Vaca présente de nouveau ses accusations à Rome. Sans réponse. Le dernier round commence en février 1997 quand huit anciens légionnaires dénoncent publiquement les abus sexuels commis par Maciel contre eux dans les années 50 et 60. Le 17 octobre 1998, deux des huit accusateurs, Arturo Jurado Guzman et José Barba, accompagnés de l’avocat Martha Wegan, rencontrent le sous-secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Gianfranco Girotti, et demandent l’ouverture formelle d’un procès canonique contre Maciel. Le 31 Juillet 2000, Barba, accompagné de l’avocat Wegan, rencontre Mgr Girotti une nouvelle fois au Vatican. En vain. »

Les amitiés puissantes, la raison d’Etat, la fausse morale dont est imprégnée la religion catholique contre les crimes pédophiles et « sexuels » et la prédisposition de la hiérarchie du Vatican à évaluer ces crimes comme de simples péchés qu’il suffit de condamner avec quelques prières, ont garanti à Maciel une totale impunité, et à ses victimes une vie de souffrance et de solitude. Maciel est mort en 2008 à Miami, en Floride. Deux ans après, « sa » Congrégation des Légionnaires du Christ sera placée sous la tutelle d’un commissaire par Benoît XVI. À la mi-2010, contrairement à ce qui s’est passé en 2006, l’Eglise admet publiquement que Maciel a violé des dizaines d’enfants et de séminaristes et qu’il a eu trois enfants de deux femmes différentes. Mais il accuse la Légion d’avoir empêché qu’on intervienne plus tôt et qu’on enquête sur les allégations, grâce à des « mécanismes de défense » autour du fondateur rendant ce dernier « intouchable ». Le vent semble enfin tourner. En octobre 2010, le délégué pontifical pour la congrégation, le cardinal Velasio De Paolis, constitue deux commissions : l’une pour recueillir les plaintes d’abus sexuels commis par Maciel et par d’autres membres de la congrégation, et l’autre pour l’étude et la révision de la situation économique de la congrégation. D’après le Saint-Siège, il est nécessaire de faire la lumière tant sur les abus sexuels que sur les rumeurs persistantes de gestion financière trouble.

En 2004 - l’année où le promoteur de justice, Charles Scicluna, avait commencé à enquêter sur Maciel à la demande de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi - les Légionnaires du Christ avaient un budget estimé à 650 millions de dollars et un milliard de dollars d’actifs pour les activités de ses écoles, ses séminaires et ses œuvres en Amérique latine, en Europe et en Amérique du Nord. Grâce à l’appui financier régulier de riches donateurs appartenant à l’oligarchie bourgeoise et d’extrême-droite d’Amérique latine, en un demi siècle, les légionnaires ont sont devenus la congrégation la plus riche et sans doute la plus puissante de toute l’Eglise catholique, forte d’une armée de 3000 séminaristes et 600 prêtres, répartis sur 145 collèges, 21 lycées et 9 universités. Aujourd’hui, tout ce patrimoine est en danger.

Pour confirmer la thèse du Saint-Siège concernant le rideau de protection érigé autour de Maciel par ses acolytes, il y a des documents divulgués lors d’un procès dans le Rhode Island aux États-Unis. Un procès survenu à quelques jours de l’abdication du pape Benoît XVI, le 11 février 2013. D’après les avocats des parties civiles, ces documents démontrent que les Légionnaires du Christ ont caché des informations sur la vie « sexuelle » de leur fondateur à une riche veuve qui a donné à la congrégation environ 30 millions de dollars au cours de ses 20 dernières années. Il s’agit d’une escroquerie, comme l’explique Jason Berry, journaliste au National Catholic Reporter (NCR), qui, à la fin des années 90, est le premier à avoir étudié et à avoir reconstitué l’histoire criminelle de Maciel donnant la parole à des dizaines de victimes et brisant le mur de l’omerta cléricale : « les milliers de pages de témoignages, d’informations financières et religieuses, offrent une vision incroyable sur la culture propre des Légionnaires du Christ et sur leur fondateur mexicain, Marcial Maciel. » Selon Berry, Maciel a établi à Rome un centre de pouvoir, en mettant en place l’une des plus grandes collectes de fonds de l’Église moderne : « C’est ainsi qu’il a obtenu le soutien inconditionnel du Pape Jean-Paul II, qui qualifiait le fondateur de "guide efficace pour les jeunes" et l’avait loué en public lors de cérémonies solennelles, même après la plainte de 1998 qui demandait à ce qu’une enquête soit faite sur Maciel pour des abus sexuels commis sur des séminaristes de la Légion ». Le Vatican n’est pas impliqué dans le procès de Rhode Island, mais les décisions de Jean-Paul II et de Ratzinger imprègnent la longue histoire qui se dégage des documents rendus publics par ordonnance du juge. La figure de Ratzinger apparaît comme centrale dans toute l’affaire, au moins dans les 25 dernières années.

Comme le remarque le philosophe Tommaso Dell’Era, le seul à avoir fait une recension de La volonté de ne pas savoir : « On ne peut pas ne pas s’interroger sur ce qui a poussé le cardinal Ratzinger à passer d’un désintérêt patent en 1996 à l’égard des accusations de Mgr Ramirez au fait d’envoyer Scicluna en 2004 avec la mission d’enquêter sur Maciel et sur ses proches. » L’affirmation selon laquelle le pape Jean-Paul II, en octobre 2004, était désormais proche de la mort et n’était plus en mesure d’empêcher une enquête sur celui qui « a fait beaucoup pour l’Eglise » n’est pas satisfaisante. Si l’attitude de Jean-Paul II a toujours été réticente, celle de Ratzinger, même après avoir demandé la démission de Maciel en 2006, est restée pour le moins ambiguë. Par exemple, si on retourne au procès de Rhode Island, un chapitre clé de la documentation rapporte l’aveu du cardinal slovène Franc Rodé, qui avait déclaré au NCR et au Global Post qu’en 2004, il avait vu « une vidéo de Maciel avec une femme et un enfant qu’il présentait comme le sien. » D’après Jason Berry, Rodé n’a jamais interrogé son ami Maciel à propos de sa paternité, mais le cardinal, pour sa part, affirme, toujours dans les documents cités, avoir demandé aux juristes du Vatican (dirigés alors par le cardinal Ratzinger) d’enquêter sur les allégations de pédophilie. Les explications viendront seulement en 2010, après l’enquête du Vatican sur les Légionnaires, qui produit de nouveaux rapports sur la congrégation et confirme que Maciel avait une fille et que le Saint Siège – et donc Ratzinger – le savait depuis 2005. Même si, en Italie, cela n’a fait aucun bruit, il ne fait aucun doute que les dossiers du procès de Rhode Island, publiés deux jours après l’annonce de la démission de Benoît XVI, ajoutent un nouveau chapitre aux scandales que Ratzinger avait bien à l’esprit lors de sa dernière messe publique en tant que pape, quand il a évoqué le visage de l’Église « parfois défiguré. »

Mais certaines questions demeurent : pourquoi le Vatican, qui étaient au courant des enfants de Maciel en 2005, n’a pas diffusé l’information ou n’a pas poussé les Légionnaires à le faire lorsque Benoît XVI l’a démis de ses fonctions en 2006 ? Pourquoi avoir caché cela et d’autres informations jusqu’en 2010 ? José Barba, (cité par Magister) qui est aujourd’hui professeur à la retraite de l’Université de Mexico, soutient que l’objectif fondamental de Benoît XVI était de protéger la réputation de Jean-Paul II. « Ratzinger voulait protéger la béatification de Wojtyla », affirme Barba. Mais il a commis des erreurs. Notamment celle, assez significative, de refuser de rencontrer les victimes de Maciel lors de sa visite pastorale au Mexique. C’était peut-être une décision conforme à la volonté de garder profil bas sur la question des Légionnaires du Christ… mais cela s’est avéré surtout être une décision « politiquement » erronée quand on voit toutes les critiques que cela a généré. Ce n’est qu’à partir de là que Ratzinger, qui en tant que cardinal avait éludé toutes les demandes d’enquêtes à l’encontre du prêtre mexicain, s’est retrouvé pour la première fois à devoir s’expliquer sur l’enthousiasme embarrassant du pape polonais à l’égard de Maciel, y compris après la plainte de 1998.

Comme cela été dit, l’enquête vaticane a démarré après la mort de Jean-Paul II. Mais l’annonce du Secrétaire d’Etat, Angelo Sodano, le 20 mai 2005, affirmant que Maciel ne subirait de procès canonique soulève de graves questions, notamment sur la responsabilité du pape allemand. En septembre 2005 (soit huit mois avant la suspension imposée par Benoît XVI), Sodano - actuellement doyen du Collège des cardinaux – invitait son ami Maciel à Lucca en tant qu’invité officiel d’une prestigieuse conférence. D’après Barba, en maintenant le couvercle sur la vie secrète de Maciel, Ratzinger espérait « défendre la cause de la canonisation de Jean-Paul II des accusations selon lesquelles celui-ci aurait protégé un psychopathe. » Ratzinger l’aurait ainsi protégé à son tour, et simultanément se serait protégé lui-même. »

Voir en ligne : http://temi.repubblica.it/micromega...

Vos réactions

  • Bravo aux fondateurs de ce site. Le travail que vous accomplissez est aussi important que colossal. Les faits rapportés dans cette affaire laissent pointer entre les divers témoignage qui se recoupent, jusqu’à quel point les papes eux-mêmes peuvent être bernés par l’appât du gain -ici, c’est clair que JP2 n’avait aucun avantage à enquêter sur la vie de Maciel, l’important étant les vocations et les sous qui entraient ! On peut alors se convaincre soi-même que la fécondité de l’Église l’emporte sur l’examen d’un prêtre, et surtout que l’on sait tous en Église que « Dieu écrit droit sur des lignes courbes. » D’autre part, le chrétien apprend très tôt que « La Vérité rend libre. » Il reste à espérer que rien n’arrivera au Pape François qui semble être un homme libre et conscient, puisqu’il ne cesse de demander que l’on prie pour lui, qui se reconnait humblement pécheur. Marie

  • Le Pape émérite, le Pape saint et l’ami pédophile 30 avril 2015 01:49, par Guy @Guylys333

    Bonjour !

    je crois que le Pape Jean Paul 2 étais complètement sous le contrôle de l’opus dei et qu’il recevait les informations que la secte voulais bien lui fournir.

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