Introduction
Ce n’est pas l’amertume qui nous a poussée à écrire ces lignes, mais le désir d’apporter une indispensable mise-au-point.
Cet écrit est destiné a ceux qui pourront désormais empêcher que se reproduisent tant de souffrances et de torts causés à de nombreuses personnes qui croyaient avoir généreusement donné leur vie au service de Dieu et de son Église au sein de l’Opus Dei. Nous tenons à avertir le lecteur qu’il n’y a aucune exagération dans ce qui suit, même si cela pourra surprendre celui qui ne connait de cette organisation que l’image qu’elle offre aux yeux du monde depuis plusieurs décennies. Nous espérons rendre le lecteur plus lucide et permettre la mise en place de nouveaux charismes [1].
L’Opus Dei ressemble peu à l’image qu’elle projette d’elle-même, à ce portrait-robot si familier à une grande partie du clergé : institution de l’Église aux allures conservatrices, fidélité au Pape et au Magistère de l’Église, discipline de fer, réputation morale irréprochable, efficacité et responsabilité dans ses apostolats au service du diocèse, style élégant et laïc.
Certes, la plupart des membres de l’Opus Dei s’efforce de faire le bien sincèrement. Et ils sont à l’origine de nombreuses initiatives louables et d’institutions qui comptent pour l’Église, mais nous n’avons pas peur de l’affirmer : l’Opus Dei s’autodétruit de l’intérieur par un comportement illégal et opaque pour la hiérarchie de l’Église et la plupart des fidèles.
Ce comportement n’obéit pas à des défaillances humaines que l’on pourrait excuser, il ne tend qu’à exprimer des pratiques courantes de l’institution fidèles à l’esprit fondationnel (autrement dit, du fondateur) et qui curieusement n’apparaissent pas dans les Statuts qui lui ont été accordés par le Saint Siège. A l’inverse, ces pratiques s’accomplissent à travers une multitude de règlements internes ignorés de l’autorité de l’Église [2], totalement abusifs, contraires aux droits les plus fondamentaux de l’homme, aux méthodes pastorales de l’Église et aux normes générales du Droit Canon. Ces règlements viennent directement du fondateur et ont été répercutés comme tels par ses successeurs immédiats et ses collaborateurs. Par conséquent, nous nous trouvons face à une réalité trompeuse et obscure très difficile à cerner, même par ceux qui se trouvent au plus bas de l’échelon dans l’institution. Que dire alors, de ceux qui ne la connaissent que superficiellement !
Avant tout, il faut préciser que la plupart d’entre nous qui étions membres célibataires (numéraires, numéraires auxiliaires et agrégés), sommes entrés très jeunes dans l’Opus Dei (bien souvent à l’adolescence) et nous n’avions ni expérience, ni connaissance des lois qui régissent l’Église. Tout ce que nous avons appris sur l’Église et la vie spirituelle, nous est parvenu à travers l’Opus Dei. Et des années plus tard, certains d’entre nous avons enfin pris conscience d’avoir reçu une formation partiale, manipulatrice et incompatible avec la doctrine et la pastorale de l’Église.
Nous souhaitons montrer surtout dans cet écrit, comment l’Opus Dei manipule et détruit les individus – et particulièrement les membres célibataires – au nom de Dieu. Comme nous le verrons, cette destruction est vraiment radicale car elle touche ce qu’il y a de plus sacré chez l’être humain : son intimité, sa conscience, sa relation avec Dieu et tout ce qui regarde sa vie de près ou de loin. Presque rien ne lui échappe.
Nous allons expliquer tout d’abord comment l’Opus Dei gère l’intimité des personnes, afin de mieux comprendre le type de préjudices qu’elle provoque et comment ils se produisent.
Préjudices causés aux membres : manipulation et destruction des personnes
Contrôle et manipulation de l’intimité des consciences. Caractéristiques de la direction spirituelle personnelle dans l’Opus Dei
Afin de mieux appréhender ce sujet, il est important de préciser que le gouvernement de cette institution, à tous les niveaux, n’est pas individuel mais collégial : nul ne peut gouverner seul, les décisions se prennent toujours en commun au sein d’un conseil composé d’autres directeurs, nommés eux-mêmes par des supérieurs hiérarchiques. Ce détail permet de mieux comprendre que les informations obtenues dans la direction spirituelle ne sont jamais traitées par une seule personne.
Cette direction spirituelle personnelle dans l’Opus Dei comporte toute une série de caractéristiques que nous allons exposer de façon synthétique.
- Tâche propre au gouvernement de l’institution, elle revient aux directeurs eux-mêmes, qui ne font qu’exécuter une mission reçue de leurs supérieurs. La direction spirituelle personnelle est donc l’affaire de cette organisation collégiale, bien que l’acte lui-même soit délégué à un seul membre [3], qui communique - sans le consentement de l’intéressé - à ses supérieurs hiérarchiques les informations reçues sur la conscience de ce dernier [4]. Ensuite, cette organisation collégiale fait transmettre à l’intéressé les indications de direction spirituelle qui lui semblent les plus appropriées. Ainsi l’institution n’hésite pas à utiliser des éléments extérieurs pour gérer l’intimité des personnes.
- La direction spirituelle personnelle est obligatoire pour tous les membres, ceux qui se sont engagés dans le célibat doivent s’y soumettre chaque semaine [5]. On impose à chacun, même aux prêtres, un directeur spirituel laïc issu de la classe dirigeante [6] et nommé par le gouvernent de l’Opus Dei.
- On impose aussi à chaque membre un prêtre avec qui il doit se confesser. Le conseil spirituel de celui-ci est soumis aux décisions des directeurs et directrices laïcs avec lesquels il ne peut être en désaccord [7]. Hormis ce directeur laïc et ce prêtre, tous les autres pasteurs de l’Église sont considérés comme de mauvais pasteurs : il est interdit de se confier à un prêtre non membre de l’institution, sous prétexte de ne pas vivre le bon esprit. [8] Personne ne peut échapper à cette règle. Il n’y a donc aucune liberté dans le choix de son propre directeur de conscience.
- Chacun doit obligatoirement ouvrir son âme au directeur spirituel laïc qui lui a été attribué, en lui dévoilant les détails les plus intimes de sa vie (péchés et pensées inclus) [9]. L’institution, dans la formation qu’elle inculque à ses membres, affirme que cette exigence n’est que l’expression d’une indispensable sincérité envers Dieu.
- Le directeur spirituel ne garde pas pour lui les secrets qui lui ont été confiés. Par bon esprit, il doit faire un rapport oral et écrit à ses supérieurs hiérarchiques [10] sur les confidences reçues de toutes les personnes dont il a la charge [11]. Ces confidences sont classées avec soin et communiquées à d’autres si nécessaire. Seuls les directeurs sont au courant de cette pratique, mais n’oublions pas que la direction spirituelle est une tâche du gouvernement de l’Œuvre. Ainsi, lorsque quelqu’un change de centre, d’activité ou de pays, un rapport sur sa conscience est envoyé aux directeurs du lieu de sa destination, accompagné des indications sur le comportement à avoir avec lui. Cette confusion abusive entre ce qui est intime et ce qui ne l’est pas, atteint son paroxysme, lorsque par des subterfuges soi-disant légaux, le secret de la confession est tout simplement violé. [12].
- Nous nous trouvons donc face à un véritable régime légalisé d’administration et de violation des consciences [13] car de nombreuses personnes ont accès à ces fiches de renseignements. Cette intrusion dans l’intimité des membres (sous prétexte d’accomplir la volonté de Dieu) ne sert en fait qu’à piloter leur vie [14] et leur travail dans des entreprises d’éducation, ou autres, qui dépendent de l’Opus Dei. Le directeur spirituel laïc et le prêtre, parce qu’ils suscitent en chaque membre une soumission à leurs supérieurs [15], ne sont en fait que des inspecteurs, de purs instruments exécutifs des directives du gouvernement. Le contrôle sur les individus, sur leur intimité est si absolu que comme dirait Kafka dans Le Procès, « La chambre à coucher, notre plus grande intimité, se transforme en tribunal. »
- Enfin, cette conception de la direction spirituelle personnelle est considérée comme un élément essentiel de l’esprit de l’Opus Dei et bien qu’elle s’oppose à la législation de l’Église [16], l’institution lui prête un fort caractère surnaturel, inspiré par Dieu au fondateur.
La volonté de Dieu ne se manifeste qu’à travers les directeurs
Les décisions du gouvernement de l’Opus Dei sont donc imposées habituellement aux consciences, comme étant une manifestation indiscutable de la Volonté de Dieu. De ce fait, l’institution supprime toute autonomie morale chez l’individu. La liberté de conscience est alors niée, sous prétexte de devoir adhérer à la volonté souveraine de Dieu, qui s’identifie sans nuances à la volonté de ceux qui gouvernent [17] . Toute divergence d’un membre dans ce sens est jugée comme une manifestation d’amour propre désordonné et d’orgueil.
Par conséquent la relation avec Dieu est restreinte en quelque sorte, aux indications des directeurs qui se proclament, en vertu de la juridiction de l’Opus Dei, comme l’unique canal par lequel doit passer la volonté de Dieu dans tous les aspects de la vie intérieure des membres. Avoir recours à tout pasteur de l’Église étranger à l’Opus Dei - même l’évêque du Diocèse [18] - n’est qu’une marque de mauvais esprit. C’est ainsi que les membres de l’Œuvre sont privés de toute communication directe avec les pasteurs ordinaires de l’Église, ils ne peuvent aller les trouver, ni recevoir leur aide. L’affaire est grave si l’on considère l’ensemble de ces limites imposées à la liberté personnelle, sans compter toutes celles dont nous n’avons pas encore parlé. En effet, les membres de l’Opus Dei sont isolés de l’Église et ils ne peuvent être en communion avec elle, par respect pour une pastorale absurde qui aurait reçu l’approbation Pontificale. Les membres sont ainsi privés de manière illégitime de cette force de l’Esprit du Christ.
Ces principes que nous venons de dénoncer sont inculqués aux membres dès leur première formation dans l’Opus Dei. Ils restent gravés au fer rouge au plus profond du cœur de celui qui désire être saint et fidèle à Dieu. Et comme la jeune recrue a une culture ecclésiale limitée, on lui affirme que ces principes ne sont que pure doctrine de l’Église et ont été inspirés par Dieu au fondateur. La voici donc conditionnée par tout ce que l’on exigera désormais d’elle, comme conséquence d’un don personnel à Dieu.
Contrôle de la culture et de l’information
Les études religieuses et les moyens de formation spirituelle (causeries, retraites, rencontres, etc.) ne sont là que pour confirmer cette doctrine et les pratiques que nous venons d’évoquer. Spontanéité et créativité sont bannies : tout ce qui doit être dit et enseigné a été prévu, planifié dans les moindres détails.
On contrôle tout : les livres de théologie et les ouvrages qui permettent de les approfondir. Les causeries de formation spirituelle doivent s’adapter à des guides bien précis. Toute tentative de liberté dans la méthode d’enseignement est fortement prohibée pour tout ce qui concerne la formation interne. Les personnes chargées de cette formation sont nommées en fonction de leur fidélité aux principes de l’institution et non à ceux de l’Église, peu importe leur sagesse ou leur compétence en matière théologique. Tout ouvrage qu’un membre souhaite lire pour approfondir sa culture doctrinale doit être soumis aux directeurs. Ceux-ci accordent ou refusent leur permission [19] selon leur convenance. On ne peut avoir accès qu’aux livres de spiritualité et de méditation figurant sur une liste conservée dans chaque centre et élaborée par le Conseil Régional [20]. Pour les livres de spiritualité [21], on doit consulter le directeur qui doit faire valider la demande au conseil local. Les bibliothèques des centres ne peuvent contenir que des livres autorisés [22]. Tous les ans, chaque centre doit envoyer aux directeurs la liste des livres récemment acquis. Ceux qui d’après leurs critères ne sont pas convenables, sont retirés. L’accomplissement de ces normes est une obligation grave pour tous les membres.
De même, l’Opus Dei n’hésite pas à manipuler intellectuellement les études et la formation spécifique qu’elle inculque. Il n’y a pas non plus de liberté, ni d’autonomie dans la recherche et l’enseignement au sein des Facultés Ecclésiastiques promues par l’Opus Dei, bien que l’Église les ait approuvées à condition qu’elles soient de véritables centres de recherche Universitaire.
L’endoctrinement des membres ne cesse jamais et en parallèle l’Opus Dei a créé un puissant système de propagande destiné à l’opinion publique qui camoufle ce contrôle permanent que nous venons d’évoquer, derrière la déclaration constante de ses grands idéaux apostoliques soi-disant au service de l’Église.
Contrôle de la pensée
Toute divergence avec la position officielle de l’Opus Dei sur son esprit ou sur des sujets de théologie et d’histoire est fortement réprimée. Il est impossible d’imaginer être en désaccord avec les slogans officiels. Les objecteurs de conscience dans ce domaine sont violemment corrigés, on leur retire toute responsabilité de formation et de gouvernement. On exerce sur eux une forte pression pour les pousser à quitter l’institution. Et lorsqu’un membre est en désaccord parce que l’institution va à l’encontre du magistère de l’Église ou de ses saints canons, il subit le même sort.
Quand ils se réunissent entre eux, les membres de l’Opus Dei ne peuvent jamais exprimer une opinion différente de celle de la doctrine officielle. La correction ne se fait pas attendre.
Il est interdit aussi de formuler une critique saine et constructive sur les pratiques de l’institution. L’opinion personnelle sur ces sujets – et même la moindre pensée en désaccord avec eux – est toujours considérée comme de la calomnie et représente une faute grave contre l’unité. Le péché le plus grave dans l’Opus Dei est en effet de critiquer les Directeur ainsi que de manifester tout symptôme de manque d’unité envers eux, car les directeurs représentent le Père ou le Prélat en place et celui-ci représente Dieu. H. Arendt, dans un ouvrage sur le totalitarisme écrivait : « Le fonctionnaire n’est pas seulement nommé par le chef : il devient sa vivante incarnation. Chacun de ses ordres émane finalement de ce chef omniprésent. » (Les origines du totalitarisme, p. 462. Taurus, Madrid 1999).
Avant d’être rattaché juridiquement et définitivement à l’Opus Dei, toute personne doit s’engager devant témoins, à ne jamais critiquer publiquement ou en privé les décisions des directeurs ainsi qu’à interrompre sur le champ et à corriger très sévèrement tout membre de l’Œuvre qui commettrait cette faute [23]. Cet engagement de conscience qui représente une obligation grave, ne figure pas dans les Statuts accordés par le Saint Siège.
Limitations de la liberté dans les relations humaines
Selon l’esprit de l’Opus Dei, il est formellement interdit [24] de se confier intimement à d’autres membres. Nul ne peut parler aux autres de ce qu’il pense ou ressent. Seuls les Directeurs peuvent - et doivent – recevoir les confidences intimes car comme nous l’avons souligné précédemment, les pensées les plus intimes doivent être livrées à un supérieur. Ainsi en manifestant un bon esprit, on prouve sa sincérité envers Dieu. Rien ne peut être caché aux supérieurs [25], cela signifierait que, face à Dieu, on mène une double vie. Les directeurs deviennent alors maîtres et administrateurs de notre intimité. Un tel esprit exige que toute amitié entre les membres soit radicalement tranchée. La conséquence la plus grave de cette pratique est l’isolement total des individus, leur décomposition absolue. L’isolement, l’incommunicabilité entre les membres est si radicale, qu’ils deviennent incapables de se défendre contre l’institution et inconscients des abus dont ils sont victimes.
A cela, il faut ajouter la pratique d’un type particulier de correction fraternelle, loin de celle prônée par l’évangile. L’Opus Dei dans la formation qu’elle donne à ses membres, insiste en permanence sur cette pratique. La correction fraternelle est l’un des moyens de formation personnelle de l’Œuvre. Sa pratique est une manifestation suprême de bon esprit, de vibration et d’amour envers l’Œuvre et ses frères. Elle représente l’un des piliers de l’Opus Dei que les Directeurs utilisent habituellement comme moyen de répression, face à tout symptôme de scission [26]. Elle est en même temps une excellente source d’information sur le comportement des membres, car pour faire une correction fraternelle, il faut d’abord consulter le directeur [27]. Ainsi, on détruit toute possibilité d’amitié en étouffant toute loyauté. On favorise la délation entre les membres, les poussant à devenir de véritables espions de leurs frères. Tout le monde espionne tout le monde, même les Directeurs s’espionnent entre eux.
Grâce à cette correction fraternelle, dans laquelle chacun joue à la fois le rôle de brebis et de pasteur, l’Opus Dei parvient à avoir un contrôle organisé sur chaque membre. Ainsi, cette pratique qui serait née directement de l’esprit fondationnel, scelle toute communication fraternelle. Il ne subsiste alors entre les membres que les aspects les plus fades et superficiels d’une relation.
Isolement de la famille et limitation des relations sociales
Dès le début de sa vocation et sous prétexte d’un don total à Dieu, tout membre numéraire est séparé de sa famille, même si l’intéressé est très jeune et qu’il dépend économiquement de ses parents. Les visites s’espacent puis sont réduites au minimum, elles sont aussi souvent qualifiées d’attachement aux liens du sang. Les communications téléphoniques avec eux ont tendance à être limitées. Toute correspondance épistolaire est relue et censurée, surtout au cours des premières années dédiées à une formation plus intense. On ne peut assister qu’à certains événements familiaux et il est interdit de passer des vacances avec les siens. Ceci engendre un certain nombre de conflits avec la famille, car celle-ci a beaucoup de mal à comprendre certaines situations, comme ne pas venir au mariage de sa propre sœur ou encore à l’ordination sacerdotale de son frère. Au fil du temps, un certain nombre de membres de l’Opus Dei deviennent donc de parfaits inconnus pour leur famille en raison d’un relâchement affectif à leur égard et de conflits engendrés par une inconditionnelle obéissance aux directeurs.
Les relations sociales des membres célibataires deviennent quasi impossibles pour bien des raisons : l’amitié est instrumentalisée à des fins apostoliques, les fréquents changements de domicile, les contraintes imposées pour voyager, le contrôle des entrées et sorties du centre (lieu où l’on habite), l’interdiction d’assister à des spectacles culturels et de divertissement, ou encore le rappel constant que le temps doit être mis à profit c’est à dire à l’entière disposition de l’Opus Dei.
Déracinement social, déracinement du monde
Comme chacun sait, l’homme vit dans le monde. Quand on est appelé à se sanctifier au milieu du monde, on est intégré dans la société parce qu’on a une famille, une profession, des biens à gérer, parce que l’on prend des décisions personnelles dans tous les domaines, que l’on crée des liens affectifs, que l’on construit sa propre personnalité et en général, parce que l’on est autonome dans les différents domaines de l’existence. Dans l’Opus Dei, tout ceci s’avère vraiment difficile, voire impossible.
En effet, bien qu’elle se présente comme un chemin destiné aux chrétiens ordinaires au milieu du monde, tout en insistant sur le fait qu’elle ne retire personne de sa place (c’est ce que l’on croit quand on demande l’admission), la réalité est cependant toute autre pour ceux qui s’engagent dans le célibat. On peut constater aisément que le mode de vie et d’obéissance est totalement plaqué sur celui des religieux : les membres célibataires n’ont aucune indépendance économique. En outre, ils sont la plupart du temps orientés vers des tâches internes sans salaire, ou vers des postes dans des entreprises apostoliques dépendantes de l’Opus Dei, ce qui les prive de toute liberté professionnelle et économique [28]. Leur liberté de décision est également sacrifiée parce qu’ils doivent obéir aux Directeurs et les consulter pour la moindre dépense (téléphone [29], déplacements, sorties, etc.). Leurs déménagements fréquents les empêchent d’avoir un enracinement social et professionnel normal. Tout repère matériel ou affectif avec le monde est supprimé même dans les détails les plus insoupçonnables.
C’est pourquoi, beaucoup de ceux qui abandonnent l’Opus Dei, renient leur passé, car ils n’en n’ont presque rien décidé.
Tout ceci renforce l’isolement des membres célibataires. Dans de nombreux cas, il leur est difficile voire impossible de recommencer leur vie à zéro après être sorti de l’Opus Dei.
Aliénation de la personne
Mais le contrôle de l’information et des activités extérieures d’un individu n’est pas ce qui le détruit le plus. Le plus grave (caractéristique absente de bien des régimes totalitaires) est la soumission de toute sa vie spirituelle qui l’empêche de se construire et de bâtir sa propre relation avec Dieu :
– Perte de la liberté de conscience : remplacement de la conscience personnelle et de son autonomie par un régime d’obéissance totale envers les directeurs.
– Manque de liberté dans la construction de sa propre vie de relation avec Dieu : le directeur de conscience, le confesseur et les livres de spiritualité ne sont pas librement choisis.
– Viol de l’intimité : obligation d’ouvrir son âme et de subir de fréquents interrogatoires sur les sujets les plus intimes [30].
– Violation légalisée de la direction spirituelle sensée être confidentielle : stratagèmes utilisés pour que l’intéressé reparle hors confession, avec le prêtre, de sujets qu’il vient d’aborder dans sa confession [31].
– Contrôle des individus : informations obtenues sur leur conscience par le directeur spirituel.
– Substitution des Directeurs à Dieu : gouvernement collégial dans le domaine de la conscience.
Exigence d’une totale docilité aux décisions des Directeurs : les seuls interprètes de la volonté de Dieu dans la vie intérieure [32], mais qui concerne en fait tous les aspects de la vie car il faut se laisser façonner par eux, telle l’argile dans les mains du potier.
– Obsession des moyens de formation pour se soumettre totalement aux Directeurs, cette soumission s’identifiant avec le don de soi à Dieu.
Il est difficile d’imaginer une plus grande mainmise sur l’intimité de la personne, au nom de Dieu et de la sanctification personnelle. Seul le respect de l’intimité de l’autre et de sa liberté de choix peut l’aider à être lui-même, à construire sa propre personnalité et à parvenir à maturité. La violation de ce droit fondamental à la liberté entraîne de sérieuses lésions dans le développement d’un être humain, elle l’aliène.
Une telle transgression de ces fameux droits fondamentaux proclamés par Vatican II et protégés par le code en vigueur de Droit Canon, ne s’était encore jamais produite dans l’histoire de l’Église. Jamais de manière totale, systématique. Mais cela a eu lieu car le fondateur et ses successeurs ont gouverné délibérément l’institution en marge des Statuts accordés par le Saint Siège, suivant des règlements ignorés par l’Église, où abondent de graves atteintes aux droits fondamentaux de l’individu.
Isolement affectif et vulnérabilité psychologique
Revenons à cet isolement affectif et sentimental des membres célibataires pour insister sur leur vulnérabilité. Toute amitié sincère entre les membres étant proscrite par l’esprit de l’Œuvre, leurs relations deviennent superficielles et banales. Elles se développent, comme nous l’avons dit, dans un climat de méfiance cruelle où les membres craignent la délation, suivie de la correction fraternelle pour toute déviance envers cet esprit.
L’incommunicabilité entre les membres est donc totale dans leur vie quotidienne : échanger des impressions de sa vie en général et de sa vie dans l’Opus Dei, avoir une opinion sur les indications des directeurs, ou sur des aspects de l’esprit de l’Œuvre [33]. Toute relation sincère et authentique avec les autres étant impossible, l’individu se retrouve alors isolé et quand un être est isolé, il devient vulnérable.
Cette vie de famille tant revendiquée par l’Opus Dei n’est finalement qu’un faux-semblant. Elle n’est en fait qu’une vie solitaire en commun. Isolée et sans les relations affectives d’une famille normale, l’existence devient insupportable pour beaucoup de membres qui s’étaient aussi engagés dans l’Opus Dei parce qu’on leur promettait l’affection d’une vraie famille.
La vulnérabilité de celui qui est ainsi isolé est colossale. Non seulement à cause de cette impossiblité de relations sincères avec les autres et de la pratique de la correction fraternelle, mais surtout et cela est pire, parce que les membres ne peuvent communiquer entre eux sur la formation qu’ils reçoivent ensemble dans l’Œuvre. Ils finissent donc par s’auto-culpabiliser lorsqu’ils perçoivent des erreurs dans la pratique de l’esprit de l’Opus Dei. Et ce sentiment de culpabilité est autant infondé que destructeur. Alors, en vertu de l’esprit de l’Œuvre, chacun exerce un contrôle idéologique sur lui-même et sur les autres car il considère que l’esprit de l’Opus Dei a été révélé par Dieu et qu’il contient l’essence même de sa relation avec Lui [34].
A ce propos, quand un membre éveille des soupçons parce qu’il commence à penser par lui-même, on le traque sans pitié jusqu’à ce qu’il soit neutralisé [35]. Il se produit une collision entre un individu totalement isolé et un dispositif institutionnel compact qui prétend en outre, détenir la vérité et être le révélateur de la volonté de Dieu : Les directeurs ont toujours raison, lui dira-t-on. Les effets de ces perpétuelles attaques sont terribles pour le sujet. Il se sent seul et on l’accuse d’orgueil, de refuser l’amour de Dieu. S’il souffre et se décourage, on finit par le conduire chez un psychiatre membre de l’Opus Dei. On le considère alors comme malade, et on l’abrutit avec un traitement médical de choc.
Dans ce cas, la seule solution est de partir. Mais la plupart du temps, c’est une décision difficile car l’intéressé est persuadé qu’il va ignoblement trahir Dieu. En effet, dans la formation que l’on nous inculque, la réponse à la grâce divine signifie fidélité à l’Opus Dei. En outre, pour la plupart des membres, partir signifie se retrouver à la rue, parce qu’ils sont sans ressources après toute une vie consacrée à l’Opus Dei.
Ils ne s’en sortiront donc qu’à condition de pouvoir compter sur une aide extérieure et s’ils sont parvenus eux-mêmes à acquérir un esprit libre et sûr, qui les rend conscients de la manipulation idéologique à laquelle ils ont été soumis. Ils pourront alors échapper mentalement au contrôle des directeurs et aux impostures de l’esprit.
Vulnérabilité et insécurité juridiques
L’Opus Dei, comme elle sait si bien le faire, a prévu toute impossibilité pour ses membres de se défendre devant un tribunal civil ou Ecclésiastique. En effet, les membres ne reçoivent jamais de documents écrits concernant leur relation avec l’Œuvre. Ils ne possèdent aucune preuve écrite de leur appartenance juridique à l’Opus Dei, ni de leur sortie de l’institution au cas échéant. On ne leur délivre aucun Certificat après des études ecclésiastiques. Il n’y a pas non plus de contrat de travail pour ceux qui se consacrent à des tâches internes. Une nomination à un poste n’arrive jamais par écrit. A l’exception des prêtres, personne ne peut prouver par écrit qu’il appartient ou qu’il a appartenu à l’Opus Dei. Il en est de même pour ceux qui travaillent dans toutes les charges de direction. Et c’est ainsi depuis la fondation de l’Opus Dei.
Et le cas s’avère particulièrement grave lorsque des membres ne peuvent se défendre, après avoir été l’objet de condamnations ou d’admonitions canoniques imposées par décret oral, sans jugement et sans preuve écrite, comme il est de coutume dans l’Opus Dei. En effet, cela va à l’encontre du droit établi par l’Eglise [36]. L’Opus Dei empêche donc ses membres d’user de leurs droits légitimes à recourir aux Instances compétentes, car ils ne peuvent prouver qu’ils ont été condamnés, ni sur quels délits. Ce procédé est très utile pour garder aux yeux du monde une image clean : les scandales ne transpirent pas à l’extérieur. En outre, il arrive assez fréquemment que les autorités de l’Opus Dei imposent des censures canoniques orales à un membre afin d’obtenir de lui obéissance et soumission, bien que ce dernier n’ait commis aucun des délits recensés dans le Droit de l’Eglise [37]. Ce n’est qu’une manifestation de plus du comportement opaque et abusif de l’Opus Dei sur le plan moral et juridique.
Sur ce même plan juridique, une chose nous hante sur laquelle nous avons envie de revenir : l’Opus Dei se targue de posséder un esprit pleinement séculier prônant une union personnelle à Dieu au milieu du monde qui consiste surtout à ne sortir personne de là où il se trouve, c’est-à-dire à respecter la vocation professionnelle et le milieu social de chacun. Ce n’est qu’un slogan pour les potentielles recrues car ce n’est un secret pour personne, l’Opus Dei est régi depuis ses débuts, comme un ordre religieux strict. Pour les numéraires et les agrégés supposés être des laïcs, il n’y a pratiquement aucune différence avec la vie des religieux dans leurs engagements de pauvreté et d’obéissance ni, la plupart du temps, avec leur conception du travail dans les entreprises apostoliques. Certes, l’Opus Dei est devenue une Prélature Personnelle et elle dépend maintenant de la Congrégation des Évêques mais cette particularité qui existe depuis sa fondation n’a pas bougé d’un iota. D’après le Code Juridique de Droit Canon (c.294-296), une Prélature est une structure cléricale formée de prêtres et de diacres séculiers sous l’autorité d’un Prélat, les laïcs coopèrent au travail apostolique de la prélature selon des accords entre les deux parties. Et pourtant les Statuts de l’Opus Dei considèrent les laïcs comme des membres à part entière.
Mais retenons surtout et n’hésitons pas à le répéter : les prêtres et les membres célibataires doivent s’engager à un mode de vie très particulier, clause absente des Statuts accordés par le Saint Siège mais bien présente dans les règlements internes de L’Opus Dei.
Ces fameux Statuts approuvés par l’Église, n’ont aucune incidence sur la vie quotidienne des membres de l’Opus Dei, on ne leur donne jamais à lire et leur contenu demeure vague. Par contre, ces règlements internes secrets, ignorés du Saint Siège [38] ne cessent de régir leur vie. Elles sont doublement secrètes, ces directives parallèles à celles accordées par l’Église et que l’Église ignore : seuls les directeurs les connaissent et y ont accès, et encore partiellement, selon leur responsabilité. En bas de l’échelle, on ignore donc ce qui nous régit.
Les nouvelles recrues sont à la même enseigne que leurs aînés, elles n’ont aucune connaissance de cette double règlementation juridique. Elles ignorent tout de ce qui officiellement a été accordé par la hiérarchie de l’Église à l’Opus Dei. Et la seule formation juridique que les membres reçoivent consiste à leur répéter que la Prélature appartient à la hiérarchie institutionnelle de l’Église [39], même si cela n’apparait pas dans le Code de Droit Canon.
On constate donc d’énormes incohérences :
- Entre un esprit que l’Opus Dei prétend laïc et le comportement réel exigé de ses membres.
- Entre ce qui est écrit dans le Code de Droit Canon sur les Prélatures Personnelles et les Statuts accordés à l’Opus Dei, surtout à propos des laïcs.
- Entre les Statuts officiels et les règlements internes secrets, qui portent non seulement gravement atteinte aux droits de l’homme et aux pratiques pastorales de l’Église, mais qui fixent des obligations strictes, absentes de ces dits Statuts.
Pour en finir avec tous ces mensonges douteux, ces secrets et ces incohérences juridiques, nous sommes intimement convaincus que la hiérarchie de l’Église doit apporter un certain nombre d’éclaircissements afin d’instaurer la légalité dans l’Opus Dei et que celle-ci puisse avoir une conduite transparente envers la hiérarchie de l’Église, tous les fidèles baptisés et ses propres membres.
Les normes du Droit Canon – générales et particulières – servent à garantir l’authenticité de l’esprit chrétien, la liberté et les droits inaliénables des fidèles qui sinon se retrouveraient sans défense face aux abus de pouvoir et dans ce cas bien précis : abus de pouvoir au nom de Dieu.
Conséquences de ces pratiques et dommages causés à la personne
La plupart des membres célibataires s’engagent très tôt dans l’Opus Dei. Sans la maturité requise, ils le font alors moins par discernement d’une authentique vocation que pour suivre un processus de pression très défini de la part des directeurs [40]. Ce même schéma s’applique aussi dans l’Opus Dei, aux vocations sacerdotales par obéissance [41]. Il n’est pas difficile d’imaginer les conséquences de toute une existence avec une vocation inventée, de toute une vie bâtie sur du vent.
On assiste donc à une détérioration intérieure de la personne, à sa destruction systématique. Elle est noyée dans l’institution, dévorée par elle car le bien de l’Opus Dei est supérieur à celui de ses membres. Aliénation de soi et déracinement existentiel. Perte de toute relation profonde avec la réalité économique, professionnelle, sociale, affective… du monde, qui finit par engendrer une longue et immense souffrance complexe à définir chez un individu fidèle à sa conscience. Ce qui explique le grand nombre de maladies mentales de type émotionnel [42] affectant plus de la moitié des membres numéraires : dépression, anxiété, peur, phobies, obsessions, dépréciation de soi, marginalisation, suicide, épuisement chronique, perte d’identité, désespoir total, perte de repères.
Mais nous avons constaté des dégâts encore plus dévastateurs : ces nombreux membres de l’Opus Dei, parfaitement modelés sur les exigences de l’institution, annihilant leur conscience par obéissance. Rien n’affecte leur psychologie, leurs émotions. Ils souffrent d’un mal plus subtil et plus profond, ils sont devenus des robots fanatisés. Ils ont perdu toute personnalité, toute capacité à ressentir et à décider par eux-mêmes : ils jouissent du privilège (qui se matérialise parfois par des détails) d’appartenir à la tête, avec le respect qui leur est du. Ils ont soif de pouvoir, ils ont tourné le dos à la vérité, ils exaltent l’institution et répercutent les consignes et les mensonges du parti, ils savent pertinemment que leur conduite est absurde, mais ils assument leur rôle. Tels des cadavres, ils accomplissent froidement la mission juste ou injuste de ceux qui gouvernent. Leur seule excuse : l’obéissance.
La souffrance engendrée par l’aliénation des individus dans l’Opus Dei est un problème extrêmement grave qui touche l’Église et la société civile. Le nombre de victimes s’élève aujourd’hui à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Et cette affaire est d’autant plus grave, que ces pratiques immorales sont tout à fait légalisées puisqu’elles constituent l’esprit d’une organisation approuvée par l’Église.
Préjudices sur la vie spirituelle des membres
Les directeurs se substituent à Dieu dans la vie spirituelle des membres. Leur capacité à décider étant totalement annihilée, il arrive tout naturellement que ces derniers n’aient plus aucune authentique relation avec Dieu. Leur vie intérieure finit par s’obstruer, réduite à un accomplissement exact de tout ce qui a été établi, à une soumission totale envers ceux qui gouvernent dans une ascèse basée sur la volonté.
Cette vie intérieure si axée sur la volonté et la perfection pousse de nombreux membres écœurés par tant d’années de pratique de piété rigide, à perdre la foi ou à s’éloigner de Dieu quand ils quittent l’Œuvre et parfois avant. Certains d’entre eux ressentent même une phobie à l’idée d’entrer dans une église ou de parler à un prêtre. Beaucoup d’autres ne croient plus en l’autorité de l’Église et sont choqués de son impassibilité face aux abus de l’Opus Dei, pourtant si souvent dénoncés ces dernières années.
Ceux qui abandonnent l’Opus Dei
Ceux qui s’en vont, après avoir vécu tant d’années ce qui aurait du être un don à Dieu, sont dans un état assez lamentable. La plupart du temps, ils partent parce qu’ils n’en peuvent plus, parce que leur santé mentale s’est détériorée ou bien à force d’être en conflit permanent avec leurs supérieurs. L’expérience nous montre que la plupart des membres partent, non par une attirance superficielle du monde ou pour s’éloigner de Dieu, mais parce que leur capacité de résistance humaine à atteint ses limites. Ils le font la mort dans l’âme, dans tous les sens du terme. La plupart d’entre eux n’ont aucun métier à leur actif, sont dans le dénuement économique le plus total et ont peu d’espoir de trouver du travail. Ceux qui se sont consacrés aux différentes tâches internes et c’est la majorité, ne sont plus tout jeunes, ils ne possèdent ni Sécurité Sociale, ni expérience professionnelle reconnue et ils sont psychologiquement fragiles.
Refaire sa vie dans ces circonstances est très difficile. Ils sont très souvent si profondément affectés émotionnellement et psychologiquement, qu’ils ont du mal à rencontrer quelqu’un pour fonder une famille. Il leur est aussi parfois difficile de trouver refuge dans leur propre famille après tant d’années passées comme des étrangers à cause de ce don total à l’Opus Dei. Il arrive souvent qu’ils perdent tout repère dans la vie et qu’ils aient le terrible sentiment d’avoir été trompés et d’avoir gâché les plus belles années de leur vie : une vie qui leur est étrangère car elle s’est construite sans eux.
Pourquoi l’Opus Dei n’assumerait-t-elle pas sa responsabilité envers la situation économique de membres qui ont donné leur vie entière au service de l’Église, dans une institution reconnue par l’Église ?
Beaucoup s’en vont, donc. Mais très peu le font par conscience d’avoir été abusés sur le plan doctrinal et théologique, ce qui est pourtant inacceptable pour une conscience droite.
La plupart, déformés par la formation qu’ils ont reçue, sont incapables de percevoir ces abus institutionnels, encore moins d’en attribuer la cause à leur situation. Lorsqu’ils abandonnent l’Opus Dei, parce qu’ils n’en peuvent plus, ils ressentent plutôt l’impression de trahir Dieu car persévérer dans l’Œuvre, c’est être fidèle à Dieu.
Ceux qui s’en vont sont généralement considérés comme des traîtres. On leur interdit tout travail en rapport avec l’institution de près ou de loin, ils ne peuvent plus entrer dans un centre de l’Opus Dei, car ils pourraient représenter une cause de scandale.
On traite sévèrement ces dissidents qui pourraient ternir l’image irréprochable de l’Œuvre. Ils sont discrédités devant les autorités de l’Église et les membres de l’Opus Dei, ils sont l’objet de calomnies et de médisances à leur insu, donc sans pouvoir se défendre. De très nombreux témoignages le prouvent [43].
Ne nous étendons pas davantage, nous avons été suffisamment clairs pour donner au lecteur une vision d’ensemble des torts causés par l’Opus Dei aux individus. Mais ces torts, et c’est là le plus grave, touchent aussi ceux qui restent dans l’institution, car ils sont nombreux à souffrir profondément d’une manière ou d’une autre, d’une soumission dégradante à ce pouvoir. Oui, nombreuses sont ces victimes qui restent dans l’Opus Dei par fidélité à Dieu ou parce qu’elles ne veulent pas se retrouver à la rue, sans rien.
Torts causés à l’Église
Une « organisation de pouvoirs » qui menace la liberté de l’Église
Il est indispensable que l’autorité de l’Église connaisse les fonctionnements particuliers de l’Opus Dei, puisque l’Opus Dei dépend d’elle. Ce n’est pas tant l’intégrisme de l’Opus Dei [44] qui nous préoccupe mais plutôt le fait qu’elle impose les idées intégristes de son fondateur, ignorant avec superbe la doctrine de l’Église et les progrès du magistère. Cette dissonance avec la vérité et l’Esprit Saint est nocif pour les fidèles. Mais certaines choses suscitent encore plus d’inquiétude : comment cette institution est-elle structurée ? Comment fonctionne-telle ? Quels sont ses objectifs vis à vis de l’Église ? Comment est-elle arrivée à s’incruster dans l’organisation de l’Église ?
L’Opus Dei a une structure pyramidale : le sommet, celui qui commande, a le pouvoir absolu sur une base qui ne doit qu’obéir. Il s’agit d’une organisation internationale aux pratiques totalitaires [45], toutes les informations sur la conscience de tous ses membres – même les pensées les plus intimes – arrivent jusqu’au sommet. L’Opus Dei en tant qu’organisation internationale, rédige des rapports sur les autorités ecclésiastiques comme le font les Renseignements Généraux d’un État parce que cela lui est utile. En effet, certaines informations des plus délicates se transmettent au siège central à Rome de manière strictement confidentielle à l’aide d’un livre-clef, Augustinus, que très peu de directeurs utilisent car ils sont peu nombreux à connaître son existence.
Les informations les plus récurrentes concernent les évêques, les nonces, la Curie Romaine et les diocèses [46]. Ces rapports commentés servent ensuite à élaborer des stratégies d’influence et de pouvoir. L’énorme travail de l’Œuvre sur sa propre image auprès des ecclésiastiques et des médias est bien connu. De nombreuses personnes consacrent leur énergie à cette tâche avec force de moyens. En plus, ces rapports dits amicaux avec les membres de la hiérarchie de l’Église, servent à obtenir des informations.
Et l’information arrive par toutes les sources possibles, à travers des membres de l’Œuvre ou leurs relations : un prêtre diocésain de la Société sacerdotale de la Sainte Croix (qui dépend donc de l’Œuvre), le secrétaire, le chauffeur ou la femme de ménage d’un évêque, quelqu’un qui travaille à la Curie romaine, un surnuméraire ami d’un évêque, toute personne qui a pu surprendre une conversation…
Toutes ces données, même les plus insignifiantes, arrivent aux directeurs et viennent grossir les dossiers élaborés par l’Opus Dei sur l’ensemble des évêques dans le monde [47]. Et grâce à ces informations, il est facile d’élaborer des stratégies, en mobilisant dans le monde entier des relations qui leur sont redevables ou des amis qui ont des intérêts communs – cardinaux, nonces, évêques – pour obtenir un certain pouvoir ou une certaine influence au sein de l’Église ou pour empêcher la promotion d’individus qu’ils considèrent comme sans intérêt pour eux. C’est un travail de fourmi, quasi invisible à l’œil nu, mais terriblement efficace : il existe. Tout le monde le sait. Les médias parlent souvent de ce fameux pouvoir de l’Opus Dei, mais personne ne sait vraiment pourquoi et comment il a été mis en place.
Mais à quoi sert donc tout ce pouvoir ? Le prélat et les directeurs prétendent que c’est pour servir l’Église. La servir, certes, mais comme bon leur semble, avec leur propre idéologie qu’ils érigent en dogmes et qu’ils tentent d’imposer aux autres. Étrangement, ils agissent ainsi tout en s’affranchissant des lois morales les plus élémentaires, comme on l’a vu. Toujours le même but : aplanir tout obstacle en travers de la route de l’Opus Dei et protéger cette dernière efficacement contre toute tentative de dénonciation à l’encontre de ses manœuvres douteuses.
Il est certain qu’une organisation dotée d’un tel pouvoir interne, si fortement structurée, avec une telle extension mondiale et une pensée unique, représente un grand danger pour l’Église. L’Opus Dei forte de sa capacité manipulatrice est en mesure de priver l’Église de sa liberté nécessaire. Car dans cette même Église, nous n’avons pas le droit d’imposer aux autres notre vérité par des stratégies centralisées en un pouvoir, nous devons laisser l’Esprit Saint nous guider vers la vérité totale, la vérité de chaque individu et la vérité collective au fil des siècles. [48]
Maquillage de la vérité historique de l’Opus Dei
Il y a encore une autre raison pour laquelle l’Opus Dei blesse profondément l’Église et l’affecte sérieusement dans sa crédibilité.
Il est indispensable que les autorités ecclésiastiques compétentes connaissent un certain nombre d’études solides qui attaquent la figure du fondateur de l’Opus Dei, José Maria Escriva de Balaguer. Sur ce thème, nous préférons donner la parole à deux travaux de l’historien Giancarlo Rocca [49].
Conclusion
Il est bien difficile pour quelqu’un d’étranger à l’Opus Dei de réaliser la portée de tous ces abus et leurs conséquences, ainsi que ces graves préjudices causés aux individus. L’opinion publique ne connaît rien dans les détails. Mais tout cela existe bel et bien ainsi que nous avons tenté de le dénoncer. Dieu merci, nous nous appuyons sur des preuves.
Dans cet écrit nous avons souhaité parler avant tout des torts qu’une organisation d’une telle ampleur et qui agit sous couvert d’une autorité reconnue par l’Église, a causé sur des victimes qui se sont approchées d’elle, en quête de Dieu. Il s’agit d’une erreur institutionnelle qui décrédibilise profondément de nombreuses procédures ecclésiales, face à une fraude monumentale au nom de Dieu en usant d’un pouvoir donné par Dieu. Nous espérons que les autorités de l’Église, tout en pensant aux victimes et à cette image du Christ qui doit transcender toute l’Église, mettra fin à ces énormités sans faiblesse, sans attendre que ce scandale ne se répercute dans les tribunaux civils et les médias. Il serait dommage que l’Église attende jusqu’à la fin des temps lorsqu’elle devra purifier sa mémoire historique devant Dieu.